L’enfance tient à nos os, à nos tissus et à nos fluides. Musique des relations provenant d’un horizon antérieur, toujours là, vivant.
Cette petite cafetière est le seul objet conservé de mes premières années passées dans l’émerveillement d’un paysage banal très loin de la mer.

C’était au temps des papiers peints à rayures verticales.

J’appris à lire avec L’Ile au trésor.

La nuit, avant de m’endormir dans la petite chambre à l’étroit lit de bois noir, il m’arrivait souvent d’entendre l’homme à la jambe de bois.

Je mis longtemps à comprendre que ce bruit sourd et régulier n’était que le battement de mon cœur. J’en fus presque déçu.

La mémoire et la mer, 92/73 cm, 12-2013
La mémoire et la mer, 92/73 cm, 12-2013

L’oreille est coquillage. D’elle vient la rumeur de l’écume.

L’écriture transforme la mémoire en grains de sable afin de ne pas oublier le coupant des silices enfouies et les mensonges de l’encre.

Sur la table en noyer, les trois fruits séchés rythment le pas de celle qui, vue de dos, avance vers le rivage.

L’autoportrait en blouse de peintre interroge le présent en se souvenant du futur. Le passé ne passe pas. Il longe.

Mais là n’est pas la peinture. Elle est ailleurs. Dans la géométrie énigmatique de la composition et dans la gamme colorée qui échappent toujours à la narration.

Elle est inénarrable. C’est la présence fortuite d’une absence avérée, comme ce petit nuage rose.

La peinture ouvre un passage, mais tout en l’ouvrant devant nous, elle ne veut pas nous conduire dans cette direction. L’effet de miroir n’est pas aussi direct qu’il le paraît : il utilise le reflet pour projeter autre chose. L’image picturale ressemble à ce qu’elle montre, et c’est ainsi que, dans le mouvement même qui devrait nous détromper, elle nous trompe, car son apparence est manifeste au prix d’une duplicité : on dirait qu’elle vient des choses alors qu’elle en part – que littéralement elle s’en va de l’autre côté. Lire la suite