L'oeuf du serpent, 92/73 cm, 2014.
L’oeuf du serpent, 92/73 cm, 2014.

Comme toujours, sur la surface limitée de la toile, je commence par mettre en place la géométrie sensible de la composition. C’est une affaire d’intuition saisie à son origine. Ce n’est pas une idée. Je ne peins pas avec des idées, mais avec des brosses, des pinceaux et des couleurs. « Ça prend forme ». Je n’ai pas d’intention. Je suis en tension. Je me laisse peindre. Mon regard écoute ce qui advient en silence. J’obéis aux contraintes picturales que je me suis donné librement. Cela peut prendre peu ou beaucoup de temps. Vers la fin du travail de la main, je découvre peu à peu ce que j’ai fait. Je corrige. J’ajuste. J’efface ou ajoute en fonction de ce que je ressens profondément pour tendre vers le moment où je dois me risquer à quitter la toile pour laisser apparaître son autonomie, c’est-à-dire la donner à voir à autrui. Dans le cas de celle-ci, « L’oeuf du serpent », je m’aperçois alors que je me suis aventuré dans une dimension narrative et dramatique inaccoutumée dont je me méfie depuis toujours. Cela tient évidemment aux relations qui s’installent entre les éléments figurés sur la toile. Un récit peut advenir. Dans un espace d’appartement ancien, bourgeois et délabré, deux figures de femmes dénudées suspendent un mouvement de fuite perpendiculaire à la toile. Dans le coin gauche en bas, sur une table banale, deux serpents entourent un oeuf. Depuis Shakespeare, relayé par Ingmar Bergman, on sait que cette métaphore signifie la menace totalitaire et toutes les formes de fascisme. Aurais-je donc, à mon insu, rejoint ici le genre « démodé » de la peinture d’histoire ? Je le crains par anticipation.

Notes d’atelier, 2014.