À ceux-là, 73/60 cm, 2014.
À ceux-là, 73/60 cm, 2014.

Face à ce tableau, il est évident qu’un regard averti puisse penser à Chardin et à Zurbaran. De loin, certes. Mais il y a d’autres « ceux-là » qui cohabitent sur la toile et n’appartiennent qu’à ma propre mémoire. La courge récoltée par mon ami maraîcher ; dans le bol africain en bois noir, les neuf pommes vertes du verger de Bernard Noël ; le pamplemousse et le citron, secs tous les deux depuis des années ; la tasse et la théière en porcelaine qui ont appartenu à Suzanne, ma mère adoptive ; le pot afghan en bois laqué rouge, acheté dans une brocante, il y a longtemps…
Je suis un peintre anachronique. L’actuel m’ennuie très vite. Il brouille ma présence au monde. Je converse avec les morts qui m’habitent et que j’aime. Je suis un peintre figuratif et nominaliste. Le nominaliste ne reconnaît de réalité qu’aux individus, situés et en situation. L’œuvre est un individu. Comme tout individu, l’œuvre est poreuse. Elle reçoit et elle donne. Elle condense manuellement la matière de lumière qui sourd de la peau des choses, des êtres et des lieux chargés de mémoires. Mémoires contre l’oubli ; contre l’inéluctable disparition. Oui, Jean Genet, tu dis vrai quand, dans L’atelier d’Alberto Giacometti, tu écris : « Non, non, l’œuvre d’art n’est pas destinée aux générations enfants. Elle est offerte à l’innombrable peuple des morts. Qui l’agréent. Ou la refuse. »

Notes d’atelier, 2014.