Entre bouleversement des cadres et exploration du vide…

Jean-Claude Besson-Girard, peintre du pas-de-côté

Entrer dans la peinture de Jean-Claude Besson-Girard, c’est faire un pas-de-côté. Non pas seulement suspendre le temps comme dans toute rencontre artistique, mais aussi accompagner un mouvement initié par l’auteur. Une sorte de décalage, de travelling qui nous sort du spectacle et nous place face à nous même, dans la fine matière du vide trompeur. Le troublant décadrage du sujet cadre en réalité le véritable sujet : l’être qui regarde, depuis celui qui est à l’origine de l’œuvre — parfois figuré dans son statut de premier regard — jusqu’à tous ceux qui le suivront face à la même question : pourquoi sommes-nous attirés par le vide et l’extérieur des cadres conventionnels ? Ou, pour l’énoncer autrement : serions-nous aspirés par autre chose que ce qu’on nous propose ?

Dans la plupart des toiles de Jean-Claude Besson-Girard, on retrouve, sous différentes formes, ce bouleversement des cadres et cette exploration du vide. Les personnages ne sont pas le centre autour duquel tout tourne, ni dans le fond, ni dans la forme. À l’inverse, les murs sont omniprésents comme pour rappeler quelque chose. Ils semblent instaurer un dialogue avec la chair fugace, douce et fragile. Les murs sont dénudés, eux aussi, dans l’examen d’une surface aux mille textures et nuances, loin des représentations simplifiées qui les délaissent habituellement ou les réduisent à rien ou pas grand chose. Les ciels sont terriens et les sols aériens. Les carrelages sont d’un noir jamais tout noir et d’un blanc jamais tout blanc. Les profondeurs successives décentrent également le sujet, de même que les lignes de fuites. Tout rappelle que, dans la société contemporaine, s’échapper, c’est ralentir, s’arrêter et prendre le temps de savourer la vie dans ses moindres détails.

Les nus charnels, parfois langoureux, expriment ce ralentissement, cet arrêt, entre repos, désir et introspection. Des personnages souvent associés à des symboles de la fuite du temps qui nous rappellent l’urgence de vivre vraiment : fruits charnus puis flétris, figures figées de statues ou même têtes de mort, minerais, coquillage
— entre vagin originel et fossile terminal — ou tissus comme pour le lever le voile, vins servis ou flacons vides dont on ne sait si les breuvages ont été dégustés ou se sont lentement évaporés. Une invitation tranquille, délicate et subtile à jouir de la vie sans sombrer dans la volonté de puissance, sans majorer le sujet pour majorer la toile, sans délaisser les détails, les secondes zones, ni craindre les marges au-delà des mises-en-scène convenues. Une peinture du pas-de-côté nécessaire pour voir et penser autrement. Libérer son regard et ses désirs. Choisir définitivement la vie.

Yannis Youlountas, juillet 2014.