La peinture manifeste la présence d’une absence. Prise sur le fait. C’est un festin manuel. L’image renvoie à l’absence d’une présence. L’image attend sa légende située dans le temps afin que l’œil ne s’égare pas dans les brumes d’un instant aboli à jamais. La peinture arrache à l’effacement de son créateur la durée de l’étonnement. Pour notre bonheur déraisonnable. Toute peinture est « cosa mentale », disait Léonard de Vinci. Composition. Géométrie sensible. Toutes les œuvres peintes, habitées par le désir de vivre malgré tout, sont érotiques ou ne sont pas. Sauvées de l’oubli où elles attendent notre regard amoureux, elles deviennent présence traversière dans l’espace d’une fêlure commune. Elles ne baissent pas les yeux. Elles interrogent en silence l’énigme d’exister. La peinture aiguise le regard du dedans. De la matière transfigurée en lumière. De la nuit sauvée dans son obscurité même. Sans commentaire. Le sujet de la peinture, c’est la peinture. Rien de plus. Rien de moins. Dans la peinture, l’égarement du regard est la nécessité de l’inutile, du Rien. Sa fulgurance artisanale. Les objets, les lieux, les visages, les corps, les paysages sont des infinis souverains à portée de la main qui regarde. De sa caresse, de ses doutes, de sa patience ou de sa fureur. La moindre chose observée contient toutes les choses observables. Mais il y a la laideur. Il y a le mal vivre. Il y a l’oubli de l’air. L’oubli que nous sommes poreux à tout ce qui est. Aux rêves, aux herbes, aux nuages, aux pierres, à l’eau et aux vents, comme aux métamorphoses. Le souci du monde et le souci de la beauté sont le même. On y risque tout. La peinture ne sert pas à s’exprimer. Elle exprime le monde dans le site et la situation qui nous échoit. C’est la courtoise d’un désespoir transfiguré. Une rencontre avec ce qui dépossède de soi-même sans autre fin que d’être avec, dans le désert habité de l’Énigme…

Jean-Claude Besson-Girard, Notes d’atelier, 2013.