
Pour moi, la main qui peint met à jour la densité d’un désespoir. Non pas le désespoir de ne jamais parvenir à une complète satisfaction du travail accompli sur la surface limitée de la toile. Non. Il s’agit là plutôt de la pensée même du désespoir, sans cause précise, sans raison définie, du désespoir nu ; à affronter sans les mots, les concepts, afin de le conjurer, de l’avaler, de le digérer, de le chier pour continuer la route vers une indicible métamorphose à la fois tragique et joyeuse. Tragique car l’issue est connue ; joyeuse car elle témoigne des bienfaits que le souci du monde procure à qui s’y abandonne sans en attendre autre chose que le désir de poursuivre encore le chemin d’une attention sans relâche et en quoi se résume le fait de vivre dans et avec le monde.
Il existe une magie dans la peinture occidentale, dans toute la peinture de haute exigence, aussi bien chez Carpaccio que chez Rothko, chez Vermeer, chez Chardin, chez Hopper comme chez Morandi. C’est l’apparition dans une combinaison de formes abstraites et de couleurs, propres à une tradition particulière située dans le temps et l’espace, d’une immanence qui transcende toutes les singularités en provocant un bien-être, une sensation d’abandon à une contemplation qui aide à vivre sans pourquoi. En cela, cette émotion est de même nature que celle provoquée par toutes les œuvres magiques de tous les temps et de tous les lieux de la Terre.
Après Sonate d’automne, dans Lumière d’août avant l’orage, qui est une déclinaison du même thème érotique, j’ai tenté de rendre compte de cette magie, sans y parvenir, je le sais. Je bricole. Je bidouille, je bredouille, tout en sachant aussi, comme l’écrivait Blaise Pascal, que « je n’aurai jamais assez de temps pour en faire moins ».