Urbino ou Detroit, 73/54 cm, 2016.
Urbino ou Detroit, 73/54 cm, 2016.

 

 

 

On reconnaît ici une variation du célèbre tableau, La Vénus d’Urbino, peint par Titien en 1538, qui lui-même s’inspirait d’une œuvre de son maître Giorgione. En 1863, Manet avec Olympia reprit ce thème qui fit scandale au salon de 1865, bien que la main gauche de son modèle soit sagement posée sur le haut de sa cuisse droite et non, comme chez Titien, reprenant le choix de Giorgione, se caressant le sexe. Cette différence est capitale pour orienter notre interprétation. Il convient aussi de rappeler que le modèle de Giorgione a les yeux baissés, tandis que celui de Titien nous regarde avec une sorte de candeur provocante.

 

Dans la version que je propose, la référence à la libido féminine est accentuée par la symbolique des grenades fraîches dans la corbeille posée sur la table basse en marqueterie devant laquelle on reconnaît une grenade sèche et un bol vide. Ce bol est situé à l’aplomb de la ligne de fuite de la perspective du paysage urbain de la ville de Detroit, soumise depuis 2008 au triomphe de son déclin qui a laissé dans son sillage des quartiers complètement abandonnés. La métaphore silencieuse est évidente. Elle se traduit plastiquement par la couleur dominante du tableau, celle de la rouille sous un ciel crépusculaire gris vert. Sur la terrasse carrelée « à l’ancienne » est fichée, comme une verrue, une casemate en béton dont la porte rouillée ouvre sur le vide. Le titre de cette toile Urbino ou Detroit ? évoque un choix. Mais il ne s’agit pas de réduire ce choix à une opposition improbable et vaine entre la Renaissance et la postmodernité. Je dirais plutôt qu’on peut voir dans ce tableau une invitation muette à la croissance d’un désir d’humanité face à la croissance barbare du fascisme consumériste.

Voyage d'hiver, 65/54 cm, 2016
Voyage d’hiver, 65/54 cm, 2016

C’est la troisième variation sur le thème inauguré par Sonate d’automne. La troisième saison d’une même situation, située dans un lieu imaginaire identique.

Comme toujours, il s’agit d’abord d’une géométrie sensible, d’une composition de lignes de forces, de tensions où le dessin et la couleur tendent à procurer une sensation singulière hors de la temporalité de l’instant.

En hiver, la porte fenêtre est fermée. La pièce où se place la scène est chauffée. Le fruit sur le bord de la table est un fruit de saison. Dans la solitude, la jeune femme est plongée dans son récit.

Comme dans les deux toiles précédentes, le modèle est à la fois un support et un défi. Support d’une interprétation offerte librement au spectateur. Défi de découvrir ce qui, au-delà de l’image érotique figurée, se manifeste essentiellement dans notre époque obscure dont l’horizon semble être effacé. Défi du plaisir d’un partage sans partenaire identifiable. Incitation à chercher et découvrir le sens d’une révolte contre l’absurdité et l’insignifiance. Louange de la beauté bafouée en tout lieux avant l’advenue d’un improbable printemps.

Anaïs au corsage blanc, 73/54 cm, 2015.
Anaïs au corsage blanc, 73/54 cm, 2015.

Le portait en peinture n’est pas seulement la recherche d’une stricte ressemblance visuelle. Il implique une relation entre le peintre et le modèle ; relation qui s’établit pendant toute la durée des poses. Ce qui n’est pas forcément le cas dans le portrait photographique. Ce fait signifie que tout portrait en peinture est aussi, plus ou moins, un autoportrait. Mais il n’est pas que cela bien sûr, car, au cœur de cette relation singulière, ne cesse d’avoir lieu ce qui appartient en propre au tableau, c’est-à-dire sa composition, ses équilibres, ses lignes de force et de valeurs colorées. Dans ce portrait d’Anaïs au corsage blanc, chaque élément identifiable avec des mots, y compris la forme de l’espace vide qui l’entoure, doit contribuer à l’expressivité et à l’intériorisation du visage, et particulièrement du regard. Le vrai sujet du portrait en peinture est bien l’intériorité du modèle plutôt que son apparence extérieure.

Introspection, 81/65 cm, 2014.
Introspection, 81/65 cm, 2014.

Dans la peinture dite « figurative », dès lors qu’un personnage apparaît dans un contexte situé – ici, dans un grand appartement ancien et apparemment vide ou quasiment abandonné (comme dans « L’oeuf du serpent » ) -, survient la tentation d’un « récit »contenant plusieurs interprétations possibles à la disposition de qui se laisse regarder par ce qu’il voit ou croit voir. Mais la connaissance induite par la seule narration que le récit suggère est trompeuse, car ce qui compte essentiellement dans la peinture n’appartient pas au seul récit. Cette connaissance relève surtout de la composition de la toile, de sa géométrie sensible, de sa gamme colorée et du travail du peintre, de sa « touche » particulière. C’est-à-dire du registre d’une l’abstraction, de la « cosa mentale » dont parle Léonard de Vinci. Pourquoi, par exemple, la boule noire, apparue dans une toile précédente qui porte ce titre, est-elle placée dans la troisième pièce ? Je suis incapable de dire autre chose que : j’avais besoin qu’elle soit figurée là, à cette échelle  et pas ailleurs.

Note du 21 juin 2014.