Agathe à l'oiseau mort, 100/50 cm, 2014
Agathe à l’oiseau mort, 100/50 cm, 2014

Dès lors qu’une figuration humaine apparaît dans un tableau, la tentation narrative surgit. Inévitablement, comme l’image latéralement inversée de nous-mêmes dans un miroir. Ce risque semble contourné plus qu’effacé dans la peinture non figurative.

Donner un titre à une toile, a-posteriori toujours, oriente le regard, sollicite la mémoire et la connaissance de celui qui regarde. Ici, le titre : Agathe à l’oiseau mort, peut faire penser à la Sainte Agathe de Zurbaran, conservée au musée Fabre de Montpellier, et à La Légende dorée de Jacques de Voragine où la vie légendaire de la sainte est narrée jusqu’à son martyre par l’ablation de ses deux seins. Nombreux sont les peintres qui ont traité ce sujet avec plus ou moins de génie depuis la Contre-Réforme, au XVIe siècle. Ce qui suffirait à démontrer que le seul sujet de la peinture c’est la peinture et non pas ce qu’elle figure, dans le contexte, narratif ou pas, qui la précède, l’accompagne, ou la suit.

En peinture, tout est affaire de proportions, de relations, de « formes et de couleurs dans un certain ordre assemblées », donc d’abstraction. C’est, dans le corps du peintre, le travail de la main qui regarde. C’est aussi, dans le corps du peintre, la pensée qu’il abrite et qu’elle habite au moment où il peint. Ici, l’oiseau mort, outre sa fonction plastique dans la composition du tableau, fait écho au fait confirmé qu’en trente ans plus de 420 millions d’oiseaux ont disparu du continent européen, sur une population totale estimée à un peu plus de 2 milliards en 1980. Oiseaux martyrisés et sacrifiés par nous-mêmes sur l’autel de l’anthropocentrisme.

La main qui peint les choses vues ne les reproduit pas. Elle les transfigure en rendant présente leur absence, abolissant ainsi leur valeur d’usage ordinaire pour l’accueillir dans le champ d’une valeur symbolique qui est lieu de partage avec autrui.

Le bras et la main d’Agathe veillent sur le petit théâtre de la table où se rejoue sans cesse une conversation énigmatique entre les objets réunis derrière le cadavre de l’oiseau, et sans autre pourquoi que la nécessité picturale de se parler en silence, mais non sans éclats.

Le regard d’Agathe n’interroge-t-il pas ce que notre regard sur ses jeunes seins provoque, tendus qu’ils s’offrent en contraste sensible avec l’oiseau mort peint sur le devant de la scène ?

Notes d’atelier, 2014.